
Un tournant crucial se joue ce jeudi dans l’un des dossiers les plus nébuleux de la commande publique sénégalaise. Selon L’Observateur, Saer Niang, ancien directeur général de l’Autorité de régulation de la commande publique (Arcop), est convoqué à 11 heures à la Section de recherches de la gendarmerie de Colobane. Entendu comme simple témoin, il devra lever le voile sur une affaire où se mêlent alertes bancaires, clauses contractuelles contestées, soupçons de manquements et un projet d’électrification de plusieurs dizaines de milliards mystérieusement gelé.
Un marché suspendu qui fait vaciller un projet national
Au cœur du dossier : la décision n°107 du 2 octobre 2024, par laquelle l’Arcop a suspendu le marché attribué par entente directe par l’Agence sénégalaise d’électrification rurale (Aser) à AEE Power EPC.
Ce contrat devait permettre l’électrification de zones reculées de Kaffrine, Saint-Louis, Louga, Tambacounda et Rédiougou. Mais tout a déraillé lorsque le cabinet Me Boubacar Koita et Associés, représentant AEE Power Sénégal, a dénoncé de graves manquements dans l’exécution du marché.
L’Observateur rapporte que saisine après saisine, suspensions, mises en demeure et alertes ont transformé ce projet stratégique en contentieux tentaculaire.
37,7 milliards d’avance… et des questions sans réponses
Un élément a particulièrement alarmé les autorités : une avance de démarrage colossale de 37 733 592 000 F CFA, dont l’utilisation reste trouble.
Dans une correspondance relayée par L’Observateur, la banque espagnole Santander – en partenariat avec l’Agence espagnole de crédit à l’exportation (Cesce) – a signalé son incapacité à obtenir des réponses satisfaisantes sur l’usage de ces fonds, plusieurs semaines après ses interpellations.
Résultat : financement gelé, projet paralysé.
Dans sa décision, l’Arcop a pris acte de ces inquiétudes, renforçant les soupçons sur la traçabilité du financement et les obligations contractuelles de l’entreprise espagnole.
La bataille des courriers : primes d’assurance et zones d’ombre
Autre point chaud : les garanties d’assurance.
L’Arcop avait découvert que les primes associées aux garanties délivrées à AEE Power EPC n’avaient pas été effectivement réglées, contrairement aux prescriptions légales.
Dans une correspondance incisive datée du 12 juillet 2024 et citée par L’Observateur, l’Arcop recadre sévèrement la Sonac :
« Les garanties produites (…) lui ont été délivrées alors que les montants afférents aux garanties n’ont pas été libérés au moment de l’émission des attestations. »
Face à ce que l’Arcop qualifie de manœuvres dilatoires, les mises en demeure se sont enchaînées :
« Vous semblez, à chaque fois, esquiver la question et traiter d’un sujet différent (…) Je vous invite à nouveau à me faire parvenir, dans un délai de 48 heures, les copies des bordereaux de versement des primes… »
Cette fermeté marque un bras de fer administratif révélateur de tensions profondes entre les acteurs.
Une plainte de Thierno Alassane Sall qui ravive les braises
C’est dans ce climat que le député Thierno Alassane Sall a déposé une plainte contre l’Aser auprès du Pool judiciaire financier.
Délégation judiciaire faite, ce sont désormais les enquêteurs de la Section de recherches de Colobane qui tiennent les fils de cette affaire explosive.